Fantasy & Fantastique

17 septembre 2006

FAERIES n°6, 2001



Le dieu Einär s'ennuie. Alors il rêve. Dans son sommeil, il conçoit une histoire, façonne un monde, et se complait à observer la vie de ses créatures. Mais ses actes ne sont pas innocents. Nostalgique, il aspire à réveiller les anciens dieux, dont son frère Wilfredion, le Seigneur des Dragons. Lorsque sa compagne - la divine Belthem - le quitte pour comploter contre lui, un gigantesque jeu d'échecs s'instaure, où chaque immortel va disposer ses pions avec préméditation, manipulant l'humanité vers une destinée inéluctable.

La Chronique Insulaire est une vaste fresque dont le récit s'étend sur quelques millénaires. A ce titre, et malgré les apparences trompeuses, sa structure déroutante s'avère judicieuse. Au lieu de focaliser la narration sur un personnage et une histoire, l'auteure nous dépeint une succession de scènes relativement courtes - habilement et tacitement reliées - dont l'engrenage contribue à renforcer la structure de l'ensemble.

Ce foisonnement d'idées et de détails est à la fois un bien et un mal.

D'une part, Claire Panier-Alix, il faut le savoir, développe son univers depuis plus de dix ans. C'est un travail minutieux, auquel elle se voue avec passion et délectation. Mais la complexité de l'oeuvre, tout autant que ces années d'écriture et de réécriture, engendre parfois des moments confus, voire quelques invraissemblances. Par exemple, l'emploi du terme "crucixifion" [ en vérité il n'y a pas de crucifixion dans le roman, et d'ailleurs, s'il y en avait eu, les romains crucifiaient bien avant JC, et le Conan d'Howard le fut aussi ! ]- fortement lié au symbolisme chrétien - détonne dans cet univers où le Christianisme, à priori, n'a jamais existé. Ou encore, la scène où le roi Danrit sort d'un souterrain à la tête de son expédition est répétée deux fois... et le point d'arrivée est différent d'un passage à l'autre [après vérification attentive, là encore il y a une erreur : il n'y a qu'une sortie, mais passage par une salle intermédiaire!]. S'il y a une logique derrière cette contradiction, elle n'est nulle part révélée. Dommage aussi que le rapport entre la sorcière Peridixione et l'Arbre aux Dragons (Péridixion) ne soit pas davantage expliqué - mais peut-être le sera-t-il dans un prochain volume ?

D'autre part, le lecteur avisé se délectera de cet ouvrage - en particulier les esprits les plus créatifs. L'Echiquier d'Einär abonde de milliers d'idées, pour la plupart originales ; certaines ne sont qu'ébauchées, embryonnaires. Il n'est pas rare de poser le livre pour réfléchir sur un petit détail à peine esquissé - parfois juste une courte phrase dans une note de bas de page !

Les personnages défilent à un rythme déconcertant, surtout au début, mais peu à peu l'intrigue globale se concentre sur un petit groupe - et notamment l'Ailé Akhéris, sûrement le personnage le plus fascinant du lot. Au fil des pages, on apprend son histoire, ses tourments... Âme torturée et meurtrie, le petit-fils de Duncan d'Irah va s'avérer un pion primordial dans le jeu d'Einär. Son portrait est brossé avec maîtrise, logique et crédibilité.

Tout au long du récit, on sent l'auteure complètement absorbée dans son univers et par ses personnages. On a presque l'impression qu'elle en oublie son lecteur. Du coup, pour la comprendre, celui-ci doit parfois faire des pirouettes et des efforts de concentration supplémentaires pour se mettre au diapason. Si ces exigences peuvent être un tantinet contraignantes, il en ressort au final un véritable plaisir de découverte et le sentiment d'avoir vécu une expérience unique.

On pense beaucoup à Tolkien - non pas au Seigneur des Anneaux, mais plutôt au Silmarillon, aussi bien pour ce côté un peu confus que pour son incroyable richesse. Les dragons et leurs cavaliers, par leurs relations et leur rôle, rappellent la Ballade de Pern de McCaffrey. Mais Panier-Alix transcence les similitudes pour imposer un style et une voix qui lui sont bien propres. Les passionnantes cent dernières pages, tout particulièrement, l'établissent comme une auteure importante qui saura marquer la fantasy française d'une empreinte durable.

On attend la suite avec impatience

(Alexandre Garcia, FAERIES 6, automne 2001)

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